Transmission viticole : une menace aussi pour l'avenir du sans alcool ?
Les vignerons français font aujourd'hui face à une crise silencieuse mais profonde, exacerbée par la fiscalité lourde qui pèse sur la transmission de leurs terres. Alors que les prix des vignobles atteignent des sommets, notamment dans des régions prestigieuses comme la Bourgogne ou la Champagne, la nouvelle génération de viticulteurs se voit confrontée à des coûts exorbitants pour reprendre les exploitations familiales. Cette situation met non seulement en péril la transmission des savoir-faire locaux, mais menace aussi la diversité des vins, y compris les vins sans alcool, en laissant les terres à la merci de grands investisseurs, souvent étrangers.
Un patrimoine à la dérive : la fiscalité étouffante des successions
Aujourd'hui, dans des régions comme la Champagne, le prix d’un hectare de vigne avoisine le million d'euros.
Si un enfant souhaite reprendre l'exploitation familiale, il doit s’acquitter de 150 000 euros de droits de succession auprès de l'État. Cette somme colossale, impossible à assumer pour la plupart des jeunes vignerons, les contraint à s’endetter sur des décennies, compromet ainsi leur capacité à investir dans l'exploitation et à innover, par exemple en se tournant vers des vins désalcoolisés.
Cette situation crée un véritable cercle vicieux : les jeunes ne peuvent plus reprendre les exploitations et sont contraints de les vendre.
Résultat, ces domaines passent entre les mains de grands groupes ou d’investisseurs financiers, qui, en raison de leur capacité à injecter des capitaux importants, n'ont aucun mal à se porter acquéreurs.
Des groupes comme LVMH ou d’autres investisseurs étrangers rachètent ainsi des parcelles à prix d’or, et transforment progressivement le paysage viticole français en un terrain de jeu pour les puissances financières.
Une opportunité gâchée pour les vins sans alcool ?
La montée en puissance des vins sans alcool offre pourtant une véritable opportunité de diversification pour les viticulteurs. En France, le marché du sans alcool a connu une progression de 10 % par an au cours des dernières années, notamment dans les segments des vins désalcoolisés.
Ces produits demandent des investissements en technologie et en marketing pour se distinguer sur un marché concurrentiel. Mais avec l'énorme pression fiscale qui pèse entre autres sur la transmission, les vignerons familiaux, étouffés par leurs dettes, ne sont tout simplement pas en mesure de saisir cette opportunité.
La possibilité de réformer le système fiscal, notamment en étendant le "Pacte Dutreil" aux terres agricoles, pourrait permettre aux exploitations familiales de transmettre plus facilement leurs terres sans que la nouvelle génération ne soit acculée par des charges financières démesurées.
Ce pacte, en échange d’un engagement de conservation des terres sur une période de 15 ans, permettrait aux jeunes vignerons de réinvestir dans leur exploitation, y compris dans des innovations comme les vins sans alcool.
La venue des investisseurs étrangers : un danger pour le terroir
Le risque que la pression fiscale pousse les vignes dans les mains de grands investisseurs, souvent étrangers, est bien réel.
En Bourgogne, des ventes récentes montrent à quel point les grands groupes financiers, notamment étrangers, sont prêts à débourser des sommes astronomiques pour acquérir des terres viticoles.
Ces rachats ont souvent lieu au détriment des familles locales, qui ne peuvent rivaliser avec ces puissances financières.
Selon une étude de 2021, environ 5 % des terres viticoles françaises appartiennent désormais à des investisseurs étrangers, un chiffre qui ne cesse de croître, en particulier dans les appellations les plus prestigieuses comme Bordeaux et la Bourgogne.
Ces acquisitions étrangères soulèvent des inquiétudes quant à la perte de souveraineté sur les terroirs français.
En effet, bien que les vignobles ne soient pas "délocalisables", ces investisseurs cherchent souvent à maximiser la rentabilité au détriment de la qualité et de l’identité des produits.
Cela pourrait avoir un impact direct sur des segments émergents comme les vins sans alcool, qui risquent de devenir des produits de masse, standardisés, sans le caractère artisanal qui fait la réputation des vins français.
De nombreux exemples régionaux en écho
La situation des vignerons français n'est pas un cas isolé.
D'autres régions agricoles en France font face à des problématiques similaires, où la spéculation immobilière et la pression financière étranglent les exploitations familiales.
1 - L'île de Ré
Les agriculteurs de cette île se battent contre une pression immobilière énorme, où les prix des terres agricoles sont tirés vers le haut par l'attrait touristique et la demande pour des résidences secondaires.
La transmission des exploitations agricoles devient presque impossible, forçant les familles à vendre leurs terres à des investisseurs extérieurs.
2 - La Provence
Dans cette région, les producteurs d'olives et de lavande sont eux aussi confrontés à une hausse des prix du foncier, en grande partie due à l'attractivité touristique. De plus en plus de terres agricoles sont rachetées par des étrangers, et compromettent l’identité agricole de la région.
3 - Le Pays Basque
Les éleveurs et producteurs de fromages sont également sous pression. La montée des prix des terres, liée à l'afflux de résidences secondaires et d’investisseurs, complique la transmission des exploitations aux jeunes générations, menaçant ainsi le maintien des savoir-faire locaux.
4 - La Bretagne
Les producteurs de cidre et d’huîtres, eux aussi, subissent les effets de la spéculation foncière. Ici encore, les jeunes agriculteurs ont de plus en plus de mal à reprendre les exploitations familiales, au profit d’investisseurs qui n’ont souvent aucun lien avec l’agriculture.
La fiscalité actuelle sur les successions viticoles constitue un frein majeur à la transmission des vignobles familiaux et, par extension, à l’innovation dans des secteurs comme les vins sans alcool. Si rien n’est fait, la France risque de perdre une partie importante de son patrimoine agricole au profit de grands groupes financiers et d’investisseurs étrangers. Ces derniers, attirés par la rentabilité du vin et l’image de prestige qu’il véhicule, pourraient standardiser la production, érodant ainsi l’authenticité des terroirs français.
L'extension du Pacte Dutreil aux terres agricoles offrirait une bouffée d'air frais aux vignerons familiaux, leur permettant de se concentrer sur le développement de nouveaux produits, tels que les vins sans alcool, tout en préservant l’héritage et la qualité artisanale des vignobles français. Mais sans une réforme fiscale rapide et adaptée, le paysage viticole français pourrait être profondément transformé, mettant en péril non seulement des siècles de tradition, mais aussi l’avenir du vin sans alcool, produit pourtant en pleine expansion.