Verre et contre tout : l'industrie verrière face à la tempête
L’industrie verrière française, notamment celle spécialisée dans la production de bouteilles, fait face à une crise sans précédent.
Principalement provoquée par la baisse de la consommation de vin et les difficultés liées à la crise énergétique, cette situation menace l'ensemble de la chaîne industrielle qui soutient ce secteur vital. Alors que certaines entreprises tentent de se diversifier pour éviter le pire, d'autres, comme Saverglass, ont été contraintes de recourir au chômage partiel, un signe de la gravité des enjeux actuels.
Une baisse structurelle de la consommation de vin
La consommation de vin en France connaît une décroissance marquée depuis plusieurs décennies. De 100 litres par habitant par an en 1970, elle est tombée à moins de 50 litres aujourd'hui.
Ce changement est dû à l'évolution des préférences des consommateurs, qui tendent de plus en plus vers des boissons plus légères, parfois sans alcool, l'avènement du NoLow, ainsi qu'à une concurrence accrue des vins étrangers.
Ce recul, combiné à des excédents de production, a directement affecté la demande en bouteilles de verre, un secteur qui se trouvait déjà fragilisé avant la crise actuelle.
L'aggravation par la crise énergétique
En parallèle de cette baisse de la demande, l'augmentation vertigineuse des coûts de l'énergie, exacerbée par la guerre en Ukraine, a plongé l'industrie verrière dans des difficultés supplémentaires.
Les fours utilisés pour la fabrication du verre fonctionnent principalement au gaz, dont les prix ont flambé. Cette situation a entraîné une augmentation des coûts de production de 10 à 65 % selon les types de bouteilles, forçant certaines entreprises à réduire leur production, voire à fermer temporairement certaines lignes.
Sable mouvant : quand la ressource manque à l’appel !
La pénurie de sable, une matière première essentielle à la fabrication du verre, constitue un défi supplémentaire pour l’industrie verrière.
Ce n’est pas seulement la baisse de la demande de bouteilles de vin qui met ce secteur sous pression, mais aussi l’accès difficile au sable de silice de qualité, indispensable à la production de verre.
Exploité à un rythme alarmant par de nombreux secteurs (construction, électronique, etc.), le sable devient de plus en plus rare. Certains types de sable, comme celui des déserts, ne peuvent pas être utilisés pour la fabrication de verre, ce qui réduit encore les gisements disponibles. Cette raréfaction provoque une hausse des coûts et un ralentissement de la production. Face à cette situation, l’industrie du verre explore des solutions comme le recyclage du verre pour réduire la dépendance à cette ressource.
Face à ce défi, l’utilisation croissante du calcin (verre recyclé) offre une solution, mais elle est loin d’être simple à mettre en œuvre. Le recyclage efficace du verre nécessite une collecte rigoureuse et des infrastructures adaptées, qui sont encore insuffisantes dans certaines régions. De plus, le calcin doit être de très haute qualité pour pouvoir être réutilisé, et nécessite un tri et un traitement coûteux pour éliminer les impuretés. Ainsi, bien que prometteur, le calcin ne permet pas à lui seul de résoudre les défis liés à l’approvisionnement en matières premières.
Chômage partiel : une réalité de plus en plus courante
Face à ces défis, de nombreuses entreprises verrières, dont Saverglass, ont été contraintes de recourir au chômage partiel pour réduire leurs coûts et adapter leur production à la chute de la demande.
Les deux géants du secteur, OI-Glass (américain) et Verallia (français), qui dominent la production de verre pour les vins, spiritueux, et bières, ont été particulièrement touchés. Plusieurs de leurs usines en France, notamment dans des régions viticoles clés comme le Bordelais, la vallée du Rhône, le Languedoc et la Bourgogne, ont été placées en chômage partiel. Ce sont des milliers de salariés qui ont vu leur emploi affecté par ces mesures.
OI-Glass, qui détient neuf usines en France, avec un chiffre d’affaires de 800 millions d’euros en 2023, et Verallia, qui en compte sept et a généré 953 millions d’euros de CA la même année, ont toutes deux dû réduire leurs cadences de production. Cette décision survient alors que ces entreprises avaient récemment fait des avancées vers des technologies plus écologiques, comme les fours décarbonés inaugurés en Gironde et à Cognac. Malgré ces initiatives prometteuses, la chute de la consommation des vins, bières et spiritueux a obligé ces entreprises à ralentir leur production, et a freiné ainsi leurs projets de développement vert.
Début 2024, Saverglass a placé 1 259 de ses collaborateurs au chômage partiel dans son usine de Feuquières, pour une période initiale de trois mois, renouvelable si nécessaire. Cette mesure concerne également près de 500 salariés de sa filiale Saverdec. En octobre 2024, la situation reste délicate pour l’entreprise, avec des mesures d’activité partielle toujours en vigueur sur certains sites. Bien que certains marchés internationaux commencent à montrer des signes de reprise, les volumes restent insuffisants pour compenser la baisse dans les segments traditionnels comme celui du vin.
L’avenir au bout du verre : une lueur d'espoir avec la diversification ?
Pour sortir de cette crise, l’industrie verrière explore des pistes de diversification. L’une des principales opportunités se trouve dans la production de bouteilles pour des boissons sans alcool, un marché en pleine croissance. De plus, les verriers se tournent de plus en plus vers d’autres secteurs comme le cosmétique et le pharmaceutique, où la demande pour des emballages en verre haut de gamme reste forte.
En parallèle, l'innovation joue un rôle clé dans cette adaptation.
Le développement de bouteilles plus écologiques, utilisant du verre recyclé (calcin) et des procédés de fabrication plus économes en énergie, est un axe majeur pour les verriers.
L’industrie verrière et la filière viticole se trouvent à un carrefour décisif. Si des mesures conjoncturelles, comme le chômage partiel, ont permis d’éviter un effondrement à court terme, des réformes structurelles plus profondes sont nécessaires. L'avenir de ces secteurs passe par une diversification accrue des marchés, une transition vers des modes de production plus durables et une adaptation continue aux nouvelles habitudes de consommation.